Chapelle Notre-Dame du Grasweg (Huttenheim)

Cette chapelle, située initialement au milieu des champs, est construite au cours du 15e siècle et devient le siège du chapitre rural de Benfeld jusqu’en 1789. Cette institution regroupait alors le clergé des paroisses situées entre l’Ill et la Scheer, entre Illkirch et Ebersmunster.

3 : Chapelle Notre-Dame du Grasweg (15e siècle)

03Hut chapelle choeur plan.jpg

Histoire de la chapelle

Initialement situé à l’extérieur du village, cet édifice du 15e siècle est le seul monument médiéval de Huttenheim intégralement conservé et par conséquent le monument bâti le plus ancien de la commune. Il en constitue, avec son mobilier, l’un des ornements ; son intérêt historique est indéniable puisque elle a fait l’objet d’un pèlerinage marial jusqu’à la Révolution. Inscrite à l’inventaire supplémentaire des Monuments historiques depuis 2002, la chapelle Notre-Dame du Grasweg de Huttenheim abrite l’un des chefs d’œuvre de la sculpture sur bois du 1er tiers du 15e siècle, la fameuse Madone (classée monument historique en 1978). Du haut de ses 600 ans, l’édifice présente une histoire riche et variée, parfois méconnue, révélant toutefois certaines incertitudes sur ses origines. Il semblerait qu’on pratiquait sur le site une dévotion mariale dès le 14e siècle, dans un petit oratoire. La statue vénérée était une Vierge de pitié (pietà) portant le nom de Mutter Gottes am Grasweg. Actuellement conservée dans l’oratoire voisin, cette statue a été très restaurée en 1884.

La partie la plus ancienne, son chœur, a été bâti au début du 15e siècle par un commanditaire dont les armoiries sont sculptées sur l’une des clés de voûtes. Il s’agit soit de Jean de Wildsberg, curé en titre de la paroisse supérieure entre 1407 et 1427, soit Jean d’Ochsenstein, prévôt du grand chapitre de la cathédrale de Strasbourg à la même époque. D’après une mention ultérieure du 17e siècle, le chantier avait été suivi au quotidien par un chapelain de la paroisse inférieure de Huttenheim, du nom de Claus Schilling († 1424). L’administration du lieu de culte et des biens cédés par le fondateur sont rapidement confiés au chapitre rural de Benfeld, une sorte d’association réunissant le clergé local dans les paroisses entre Ill et Scheer, d’Ebersmunster à Illkirch, doublée d’une confrérie ouverte aux laïcs. En 1441, l’évêque Robert de Bavière incorpore définitivement la chapelle à cette institution dont elle devient de facto son lieu de culte officiel jusqu’à la Révolution de 1789. C’est à ce moment qu’il faut situer la construction de la nef et de sa tourelle hexagonale, pour accueillir les offices et les rassemblements annuels du chapitre rural. Après avoir traversé les soubresauts de la Réforme puis ceux très destructeurs de la Guerre de Trente Ans (1618-1648), notre édifice fait l’objet, dans la 2e moitié du 17e siècle, d’un regain d’intérêt auprès des fidèles qui réalisent des offrandes dans le cadre des dévotions mariales. Au cours du 18e siècle, des aménagements ont lieu, notamment sous l’archiprêtre Christian Weissenbach († 1714). En 1724, un maître-autel et deux autels latéraux baroques sont mis en place en remplacement d’un mobilier plus ancien. Ils resteront en place jusqu’en 1874. En 1739, un porche fermé est construit en avant de la façade Ouest, tandis qu’en 1753, une sacristie est mise en place contre la face Est du chœur. Des stalles sont également aménagées l’année suivante, ainsi qu’une chaire.

Durant la Révolution française, la chapelle, fermée au culte suite à la dissolution du chapitre rural, voit ses 2 cloches confisquées en 1793, avant d’être finalement vendue comme bien national en 1798, pour la somme de 54 000 francs. L’acquéreur, Antoine Estpiller de Strasbourg, la revend aux citoyens Thiébaut Baur, Jacques Schneider et Antoine Kretz le jeune, tous de Huttenheim, qui en font ultérieurement don à la commune. Rouverte au culte peu après la signature du Concordat de 1801, elle reçoit 2 nouvelles cloches en 1821 et devient « chapelle du cimetière » dès 1828, année d’implantation du nouveau lieu réservé aux inhumations. Ayant fait l’objet de quelques réparations – notamment à la toiture du chœur en 1847 – et dotée d’un beffroi neuf en 1867, la chapelle suscite également l’intérêt des savants de l’époque, surtout le chanoine Alexandre Straub (1825-1891) qui fait découvrir divers éléments de mobilier.

La première grande campagne de restauration n’a toutefois lieu qu’entre 1874 et 1880. La première phase de travaux a lieu sous la direction de l’ancien architecte d’arrondissement Antoine Ringeisen (1811-1889) principalement en 1874 et 1875 (banc de communion en fer forgé). Elle se caractérise par une restauration complète du bâtiment, ainsi que la découverte fortuite des anciennes peintures murales médiévales qui ornaient tout l’édifice. La deuxième phase de travaux est dirigée par l’architecte chargé des monuments historiques, l’allemand Karl Winkler (1834-1908) qui a dessiné un nouveau mobilier de style néo-gothique, comprenant le maître-autel, deux autels latéraux, les boiseries du chœur, la tribune ainsi que le plafond de la nef. Ce mobilier en chêne est réalisé en 1876 par le menuisier Joseph Muller de Strasbourg. Murs et voûtes sont dotés de peintures polychromes imitation pierres de taille par le peintre Joseph Harms de Strasbourg (1876) et Henri Ebel de Fegersheim l’année suivante. Le curé de la paroisse, Nicolas Edel (1811-1888), finance quant à lui divers éléments décoratifs (statues, objets décoratifs, scènes bibliques peintes sur tôle, etc.) grâce à des dons.

Alors qu’une nouvelle cloche est bénie pour le beffroi en 1939, l’édifice subit des dommages pendant les combats de janvier 1945. La rénovation générale du lieu de culte, entre 1953 et 1955, sous l’égide du Ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme (MRU) permet de panser les plaies et s’achève par l’installation d’une toile monumentale due au peintre alsacien Arthur Graff (1906-1971), le Couronnement de la Vierge Marie (1955).

Le début d’un vaste programme de restauration voit le jour, d’abord de manière inopinée, à compter de la tempête du 26 décembre 1999. La partie supérieure de la tourelle et sa croix s’écroulent sur le toit de la nef : des travaux de renouvellement de la couverture ont lieu dès l’année suivante, suivis par l’installation d’un paratonnerre en 2001. En 2003-2004, des travaux de drainage, une rénovation extérieure complète et le renouvellement du toit du chœur ont successivement lieu, sous la direction de la Direction régionale des Affaires culturelles (DRAC), puis une réfection des peintures intérieures, dont la nécessité a été reconnue en raison des traces laissées par les radiateurs du chauffage central (installé en 1997). Mais dès 2006, à peine quelques mois après la réfection des peintures intérieures, des infiltrations, visibles sur les murs latéraux du chœur, voient le jour et s’amplifient, nécessitant une intervention sous le contrôle du conservateur des Monuments historiques.

Celle-ci a lieu entre 2015 et début 2017, sous la conduite du peintre Michel Eschlimann d’Eschau. L’intervention, qui a permis la mise à jour de peintures murales médiévales, souligne en particulier les éléments architecturaux du chœur, notamment les encadrements de baies et les nervures de voûtes et redonne à l’édifice son lustre d’antan.

La Madone de Huttenheim

Notre chapelle abrite une des sculptures sur bois les plus fameuses d’Alsace, il s’agit de la Vierge à l’Enfant. Cette œuvre, issue d’un atelier de sculpteurs sur bois strasbourgeois des années 1420-1430, est à placer dans le contexte du gothique international et de la diffusion d’Europe centrale des « Belles Madones », ces figures particulièrement gracieuses qui mettent l’accent sur la tendresse entre la jeune mère et l’enfant. Mais la Vierge de Huttenheim appartient à une variante de ces « Belles Madones », celle des Vierges assises et non debout. Voici la description de la sculpture faite par la conservatrice du musée de l’œuvre Notre-Dame, Cécile Dupeux, dans le catalogue de l’exposition « Strasbourg 1400 », de 2008, lors de laquelle la statue a été exposée :

« Assise sur un trône et présentant l’enfant, elle s’inscrit dans la suite des Madones trônantes répandues aux 13e et 14e siècles. Mais son extrême humanité et l’accent mis sur la tendresse qui l’unit à son fils, l’ampleur des drapés aux plis coulants et la grâce raffinée des postures l’ancrent dans la mouvance des Belles Madones. Le visage légèrement incliné vers son enfant qu’elle observe avec douceur et gravité, comme pressentant les douleurs qui l’attendent, elle le soutient sous l’aisselle de sa main gauche et caresse de la main droite le petit pied d’un geste étonnant de naturel et de tendresse maternelle. L’enfant, poupon souriant et plein de vitalité, présente de la main gauche un globe qui était peut-être à l’origine une pomme et agite sa menotte droite, semblant vouloir saisir un objet. Les visages, bien que surpeints, révèlent une grande délicatesse de modelé et une attention portée aux détails anatomiques tels que la fossette du menton de la Vierge et les plis légers de son cou. Les arcades sourcilières très dessinées, le front bombé, le nez long et fin et les volumes pleins des joues inaugurent un type physique que l’on retrouvera par la suite fréquemment dans la sculpture strasbourgeoise. L’épaisse masse des cheveux ciselés, laissés visibles par le voile qui semble avoir glissé jusque derrière le cou, incite à la comparaison avec une petite sculpture conservée à Eschau dont elle évoque la composition d’ensemble. La richesse du plissé du vêtement rejoint également les recherches menées dans la conception des Belles Madones. Les drapés volumineux retenus par le genou gauche retombent en plis coulants jusqu’au sol où ils s’aplatissent. Les manches se développent avec naturel et débordent quelque peu sur le trône du côté gauche. Le voile se répand sur les épaules par un jeu de plis en cornets marqués par une bordure à petites stries très décorative. La Vierge de Huttenheim semble avoir connu une postérité importante, car on a pu repérer plusieurs sculptures provenant d’églises situées de part et d’autre du Rhin, copiant ou adoptant ce style particulier. La Madone en bois sculpté conservée au Bodemuseum de Berlin, provenant de la région de Fribourg-en-Brisgau, est ainsi une copie presque littérale de la formule de Huttenheim. »

Les historiens d’art qui ont travaillé sur la Vierge de Huttenheim se sont longtemps interrogés sur la provenance de cette sculpture. Mais malgré la modestie de la chapelle, il n’est pas impossible qu’elle ait été placée là dès le début. Au contraire. La première mention écrite de la statue ne remonte qu’à 1651, mais le commanditaire potentiel de l’édifice, au 15e siècle, qu’il s’agisse de Jean de Wilsberg ou Jean d’Ochsenstein, appartenait à un milieu nobiliaire bien implanté à Strasbourg et, par sa position d’ecclésiastique, devait bien connaître les milieux artistiques de la ville. La statue, quant à elle, a été redorée en 1875, 1954 et 2003.

L’oratoire de la Pietà

Cet oratoire d’esthétique néoclassique, construit en 1853, succède à un premier oratoire plus modeste remontant peut-être au 14e siècle, englobé dans le mur d’enceinte autour de la chapelle. Il abritait déjà la Pietà appelée localement « Mutter Gottes am Grasweg », qui est encore visible dans l’oratoire, mais a été très restaurée en 1884 par le sculpteur Feuerstein de Barr. Les peintures murales de l’oratoire, restaurées à plusieurs reprises par des artisans locaux, évoquent des épisodes de la vie de la Vierge Marie.

Le cimetière communal, sa croix et son chemin de croix

A l’origine, le cimetière communal était implanté jusqu’en 1827 autour de l’église Saint-Adelphe. Mais avec l’augmentation de la population, il arriva à saturation et la commune fit l’acquisition de terres près de la chapelle pour y installer un nouveau lieu d’inhumation. Il est doté d’une croix dès 1832 et finit par être agrandi en 1846, puis une dernière fois en 1878. Lors du dernier agrandissement, un chemin de croix est installé le long du mur nord. Il est constitué des 14 stations sous une forme monumentale, avec des bas-reliefs moulés en bronze dans les ateliers de la fonderie Rohmer de Huttenheim.

Le monument aux morts de la Première Guerre mondiale

Le premier monument aux morts de Huttenheim, destiné à honorer la mémoire des combattants de la guerre de 1914-1918, est construit en 1922 en pierre calcaire par le sculpteur Munzenhuter de Benfeld, entre la chapelle et l’oratoire. Il présente la forme d’un obélisque, sans signe patriotique particulier ; le nom des victimes est gravé sur chacune des faces de l’obélisque.


Documents

Projet de restauration de la chapelle en 1873 par Antoine Ringeisen Archives municipales de Sélestat, fonds Ringeisen
Carte postale de 1898 présentant la chapelle (coll. Fabien Baumann)
La chapelle après sa restauration en 1954. De nombreux conifères ornaient le cimetière
La statue de la Madone redorée en 2003
Oratoire néoclassique de la pièta
La Piéta située dans l’oratoire néoclassique de 1853 (cliché de 1963)
Le monument aux morts de la Grande Guerre inauguré en 1922
Photographie de la croix de cimetière
Photographie d’une station du chemin de croix (station 12 : la Crucifixion)




Etape précédente : Ecoles primairesEtape suivante : Ancienne ferme du chapitre rural